14 dezembro, 2007

porto triste

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© Porto, Dezembro 2007

"(...) Celui qui vit longtemps à Porto - celui que je fus - ne
perçoit plus avec discernement la tristesse ontologique de
cette ville; il en est l'un des acteurs. Tristesse, dis-je: et rien
de péjoratif dans ma bouche. Il ne s'agit pas plus de la juger
que le gris de Paris ou la lumière de Provence. L'aime-t-on?
Voilà ce qui importe. Rien à voir avec la tristesse livide et
désespérante de Varsovie (tu te souviens?), rien à voir avec
la tristesse rose et morne d'un village français qui s'ennuie.
Ni avec la tristesse austère et songeuse d'une ville bretonne
un jour de crachin... La tristesse de Porto se caractérise par
la puissance. Incompatibles, ces deux mots; c'est toutefois
ainsi que je la ressens: une tristesse qui a des tripes. Et
quelles tripes! En marchant vers le Palácio de Cristal, je
passais devant un boui-boui aux carreaux qui avaient le
blues, où des gents du peuple chantaient le fado à pleine
gorge. «O fado é a dor que se canta!» (Le fado est la douleur
qui se chante) dit Maria de Fátima. Eh bien, dans le coup de
voix final par lequel tout fadiste fait tonner ses entrailles, la
tristesse puissante de Porto s'exprime tout entière. Rien
d'exsangue dans cette tristesse. Elle este chaude, elle vient
du centre vital, elle réchauffe. Et si elle me semble aussi
singulière, si elle ne s'offre pas à celui qui passe mais celui
qui reste, si même elle résiste à l'analyse littéraire, c'est
qu'elle cache son jeu sous des dehors qui ne sont pas ceux
qu'on préjuge de la tristesse, associée d'ordinaire au senti-
ment de lenteur, d'inertie et d'épanchement émotionnel:
extraordinairement dynamique, besogneuse, productive;
extraordinairement bruyante, gouailleuse, truculente;
extraordinairement colorée, frondeuse, inventive, telle est
la tristesse de Porto. La Grande Noite de Fado allait con-
firmer ma conviction qu'aucune tristesse n'a pareil caractère.
Là, en écoutant les fillettes des faubourgs pousser leurs voix
impubères dans leurs retranchements (l'écran vidéo géant
accentuait la tension dramatique de leurs jeunes cordes
vocales) prouvant qu'elles seraient les dignes continuatrices
de ces mulheres de raça, j'avais la impression de palper mon
âme; et je me sentais un membre de cette ville. Du temps où
je vivais ici, Porto avait été chercher en moi les tristesses les
plus obscures, les plus fertiles et me les avait livrées pour
que j'en use librement. De mes tristesses les plus reculées,
j'avais fait usage, en peignant, en écrivant. A présent je
peux dire que j'avais mis mes tripes dans ma peinture. J'en
avais bavé, et je m'en étais sorti. Oui, ce soir-là, je me sentis
un vrai citoyen de la tristesse. Et je repensais à plusieurs
reprises à des mots de Dostoievsky dans les Possédés:
«...cette tristesse sacrée qu'une âme d'élite, après l'avoir
goûtée, ne consentira jamais plus à échanger contre des
plaisirs ordinaires...»


excerto de "La Tristesse Puissante (lettre à Catherine, avril
1992)" do livro "L'Appel du Bleu - Voyage au Portugal" do
pintor, escritor, inspirador e inspirado viajante que assina
simplesmente Simon.

2 Comentários:

Blogger isabel mendes ferreira disse...

absoluto e magnifico.



beijo.

14 dezembro, 2007 21:50  
Blogger Pinky disse...

Ce n'est pa "ma langue", mas je l'ai compris! :)

Bisou (peço desde já desculpa pelos possíveis erros ortográficos)!!

16 dezembro, 2007 19:29  

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