uma aventura poética
La première fois que jái vu Édouard Boubat, c'est sur une photo.
Cette photo était le seul ornement d'un mur, celui de la chambre de la
soeur d'Édouard. Frère et soeur avaient des chambres d'étudiants con-
tiguës, sous les combles. Et cette photo, je l'ai longtemps regardée. Cela
se passait sous l'Occupation.
Second image: jeunes filles, jeunes gens, nous dévalons bruyamment un
escalier noir comme l'enfer, sans crainte de nous rompre le cou. Première
à descendre (derrière moi les rires et les chants des amis, celles-ci sorties
comme moi de l'École d'arts appliqués de la rue Duperré, ceux-là de
l'école Estienne), j'aperçois du haut du premier étage et dans un rectangle
de lumière qui m'èblouit - l'embrasure de la porte d'entrée - un long jeune
homme vêtu de vert. Je le "remets" tout de suite. Me frappent instantané-
ment et avant même de l'avoir approché, son attitude rêveuse, son "inno-
cence" et un air de bienveillance sereine épandu dans toute sa pérsonne.
Un pressentiment me dit, à moi qui n'en ai jamais et qui en outre ne me suis
jamaias intéressée aux représentants de l'espèce masculine, que ce jeune
homme m'est destiné et qu'il vient de m'être livré dans un emballage de soleil.
En outre, nourrie que je suis de Dostoïevski et, à cette époque, outrageuse-
ment romanesque, il me semble que quelque prince Muichkine vient de faire
son apparition dans ma vie.
(...)
Autre image: l'hiver. La nuit est tombée. L'une des deux modélistes avec qui
je travaille rue Saint-Florentin (un journal de mode m'a engagée comme
dessinatrice) me dit qu'un jeune homme me demande. Seul dans la cour
pavée, immobile soul la neige qui tombe tellement dru qu'il semble que rien
ne pourra plus arrêter cette hémorragie blanche, le "jeune homme" est là. Il
est venu me chercher. À l'effet de surprise s'ajoute une sensation de froid -
je suis si légèrement vêtue - mais Proust n'a-t-il pas dit que le froid est le
cadre le plus émouvant pour le bonheur? Lorsque Édouard me voit, il se-
coue d'un geste large son chapeau pour le débarraser des flocons qui le
recouvrent. Ce chapeau, c'est le borsalino de Papa que je lui prête de-ci
de-là.(...)
J'ai beau interroger ma mémoire, je ne me souviens pas du moment où,
pour la première fois, j'ai vu Édouard avec son Rolleicord. Ce dont je me
souviens cependant, c'est que ses premiers modèles ont été des jeunes
filles, et Séguis et moi en particulier.
(...)
Nous vivons très exactement à trois dans quatre chambres, dont deux
communiquent. Édouard et moi, nous nous sommes mariés à l'automne.(...)
C'est à peine si nous avons vu Édouard prendre des photos. Mais quand,
avec des pinces à linge, il en accroche les tirages encore ruisselants d'eau
dans la cuisine, sur le fil où nous pendons nos modestes lessives, Séguis et
moi réagissons d'emblée.
Car si décoder un bordereau de Sécurité sociale ou an avis d'imposition
nécessite pour elle et moi un long temps de réflexion, dans le domaine
artistique nous sommes incomparablement plus promptes. Nous ouvrons
les yeaux à l'ingénu. Et, tout aussi ingénument, il nous fais confiance. Nous
trouvons que ce qu'il fait est bien! Sans l'ombre d'une hésitation, il aban-
donne son emploi de photograveur et décide de se consacrer à la photo-
graphie. Actif, confiant, serein, préservé par état de grâce des préoccu-
pations adventices du doute et de l'orgueil, il se voue à sa quête. Et cette
première impression d'innocence qu'il m'avait faite, je l'ai retrouvée dans sa
manière d'aborder le modèle et de le saisir. Ni violence, ni rapt: ses modè-
les sont toujours consentants.(...)
C'est au large de l'île de Groix, au cours de ce séjour en Bretagne où, du
Pouldu, nous avons poussé jusqu'à Pont-Aven, guidés par le souvenir de
Paul Gauguin, d'Émile Bernard et de Paul Sérusier, qu'a été prise la photo
qui est au Metropolitan Museum de York. Appuyée contre le bastingage,
Séguis a son visage très interiorisé des jours où elle est "hors de la réalité et
du présent". Pour ce qui est de mon image, le vent, qui nous est favourable,
lui donne hardiesse et souffle. Photographie que j'ai retrouvée en carte pos-
tale chez des bouquinistes ou en poster au Centre Beaubourg...que les
Canadiens ont appelée Solitude; les Suédois, Liberté...
Il m'a souvent été demandé ce que je pensais de cette photo. Je trouve, ci-
tant Proust à nouveau, qu'elle est un peau chargée de la "substance transpa-
rente de nos minutes les meilleures", celles que nous avons partagées au fil
de nos jeunes années, Boubat, Séguis et moi (avant que le cours des cho-
ses ne nous disperse), pris dans l'enchantement de ce que nous avons vécu
alors et qu'il faut bien appeler une aventure poétique.
Lella F.
(sobre foto de Édouard Boubat, do livro "Lella", edição Paris
Audiovisuel/Maison Européenne de la Photographie, 1998)
Cette photo était le seul ornement d'un mur, celui de la chambre de la
soeur d'Édouard. Frère et soeur avaient des chambres d'étudiants con-
tiguës, sous les combles. Et cette photo, je l'ai longtemps regardée. Cela
se passait sous l'Occupation.
Second image: jeunes filles, jeunes gens, nous dévalons bruyamment un
escalier noir comme l'enfer, sans crainte de nous rompre le cou. Première
à descendre (derrière moi les rires et les chants des amis, celles-ci sorties
comme moi de l'École d'arts appliqués de la rue Duperré, ceux-là de
l'école Estienne), j'aperçois du haut du premier étage et dans un rectangle
de lumière qui m'èblouit - l'embrasure de la porte d'entrée - un long jeune
homme vêtu de vert. Je le "remets" tout de suite. Me frappent instantané-
ment et avant même de l'avoir approché, son attitude rêveuse, son "inno-
cence" et un air de bienveillance sereine épandu dans toute sa pérsonne.
Un pressentiment me dit, à moi qui n'en ai jamais et qui en outre ne me suis
jamaias intéressée aux représentants de l'espèce masculine, que ce jeune
homme m'est destiné et qu'il vient de m'être livré dans un emballage de soleil.
En outre, nourrie que je suis de Dostoïevski et, à cette époque, outrageuse-
ment romanesque, il me semble que quelque prince Muichkine vient de faire
son apparition dans ma vie.
(...)
Autre image: l'hiver. La nuit est tombée. L'une des deux modélistes avec qui
je travaille rue Saint-Florentin (un journal de mode m'a engagée comme
dessinatrice) me dit qu'un jeune homme me demande. Seul dans la cour
pavée, immobile soul la neige qui tombe tellement dru qu'il semble que rien
ne pourra plus arrêter cette hémorragie blanche, le "jeune homme" est là. Il
est venu me chercher. À l'effet de surprise s'ajoute une sensation de froid -
je suis si légèrement vêtue - mais Proust n'a-t-il pas dit que le froid est le
cadre le plus émouvant pour le bonheur? Lorsque Édouard me voit, il se-
coue d'un geste large son chapeau pour le débarraser des flocons qui le
recouvrent. Ce chapeau, c'est le borsalino de Papa que je lui prête de-ci
de-là.(...)
J'ai beau interroger ma mémoire, je ne me souviens pas du moment où,
pour la première fois, j'ai vu Édouard avec son Rolleicord. Ce dont je me
souviens cependant, c'est que ses premiers modèles ont été des jeunes
filles, et Séguis et moi en particulier.
(...)
Nous vivons très exactement à trois dans quatre chambres, dont deux
communiquent. Édouard et moi, nous nous sommes mariés à l'automne.(...)
C'est à peine si nous avons vu Édouard prendre des photos. Mais quand,
avec des pinces à linge, il en accroche les tirages encore ruisselants d'eau
dans la cuisine, sur le fil où nous pendons nos modestes lessives, Séguis et
moi réagissons d'emblée.
Car si décoder un bordereau de Sécurité sociale ou an avis d'imposition
nécessite pour elle et moi un long temps de réflexion, dans le domaine
artistique nous sommes incomparablement plus promptes. Nous ouvrons
les yeaux à l'ingénu. Et, tout aussi ingénument, il nous fais confiance. Nous
trouvons que ce qu'il fait est bien! Sans l'ombre d'une hésitation, il aban-
donne son emploi de photograveur et décide de se consacrer à la photo-
graphie. Actif, confiant, serein, préservé par état de grâce des préoccu-
pations adventices du doute et de l'orgueil, il se voue à sa quête. Et cette
première impression d'innocence qu'il m'avait faite, je l'ai retrouvée dans sa
manière d'aborder le modèle et de le saisir. Ni violence, ni rapt: ses modè-
les sont toujours consentants.(...)
C'est au large de l'île de Groix, au cours de ce séjour en Bretagne où, du
Pouldu, nous avons poussé jusqu'à Pont-Aven, guidés par le souvenir de
Paul Gauguin, d'Émile Bernard et de Paul Sérusier, qu'a été prise la photo
qui est au Metropolitan Museum de York. Appuyée contre le bastingage,
Séguis a son visage très interiorisé des jours où elle est "hors de la réalité et
du présent". Pour ce qui est de mon image, le vent, qui nous est favourable,
lui donne hardiesse et souffle. Photographie que j'ai retrouvée en carte pos-
tale chez des bouquinistes ou en poster au Centre Beaubourg...que les
Canadiens ont appelée Solitude; les Suédois, Liberté...
Il m'a souvent été demandé ce que je pensais de cette photo. Je trouve, ci-
tant Proust à nouveau, qu'elle est un peau chargée de la "substance transpa-
rente de nos minutes les meilleures", celles que nous avons partagées au fil
de nos jeunes années, Boubat, Séguis et moi (avant que le cours des cho-
ses ne nous disperse), pris dans l'enchantement de ce que nous avons vécu
alors et qu'il faut bien appeler une aventure poétique.
Lella F.
(sobre foto de Édouard Boubat, do livro "Lella", edição Paris
Audiovisuel/Maison Européenne de la Photographie, 1998)
2 Comentários:
beijo----------------de mt longe.
do distante Cairo, presumo...
beijo
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